

La Noblesse Impériale du Mâli
La Noblesse du Mâli : Origines et Fondements Historiques
L'histoire de la noblesse malienne s'enracine dans les grands empires médiévaux d'Afrique de l'Ouest, particulièrement l'Empire du Mâli (XIIIe-XVIe siècle). Les travaux de Djibril Tamsir Niane dans "Soundjata ou l'épopée mandingue" (1960) ainsi que les recherches archéologiques de Roderick McIntosh ont mis en lumière l'organisation complexe de cette société stratifiée. La dynastie impériale Keita, dont le fondateur légendaire Soundjata Keita unifia les clans malinkés après la bataille de Kirina (1235), constituait le noyau de la noblesse impériale. Les sources arabes médiévales, notamment les récits d'Ibn Battuta (1352) et d'Al-Umari, décrivent une structure sociale hiérarchisée où les Mansa (empereurs) s'appuyaient sur une administration centrale (les farins), une caste guerrière (représentée par les clans Traoré et Konaté) et un corps de griots (Kouyaté, Diarisso) dont le rôle est bien documenté dans les travaux de Sory Camara sur les traditions orales.
Organisation et Structures du Pouvoir Nobiliaire
Le système nobiliaire malien présentait une organisation sophistiquée et complémentaire, comme l'ont montré les recherches de Claude Meillassoux ("L'évolution du commerce africain", 1971). Trois sphères de pouvoir se distinguaient clairement : la noblesse impériale (Keita) détenant l'autorité politique suprême, la noblesse militaire (Traoré, Konaté) responsable de la défense du territoire, et la noblesse religieuse (Touré, Tall) assurant la légitimité spirituelle du pouvoir. Les études de Tal Tamari (1997) sur les castes ouest-africaines révèlent que le système successoral combinait habilement l'hérédité patrilinéaire pour les fonctions politiques, la transmission matrilinéaire pour certains rôles religieux, et la cooptation par les conseils de sages. Cette structure complexe permettait un équilibre des pouvoirs remarquable pour l'époque.
Les Grandes Dynasties Nobles et Leurs Spécificités
Parmi les principales dynasties, les Keita se distinguent particulièrement. La thèse de Madina Ly-Tall ("L'Empire du Mâli", 1977) retrace leur évolution depuis la période impériale (XIIIe-XVIe siècle) jusqu'à leur rôle contemporain dans la conservation des traditions. Les Coulibaly du royaume bambara, bien documentés dans les archives coloniales françaises (ANS, série 1G) et les travaux de Bazin (1982), ont marqué l'histoire par leur gouvernement original (tonjon, armée permanente) et leur résistance à l'islamisation. Quant aux Tall du Macina, les recherches de Bintou Sanankoua ("Le Macina au XIXe siècle", 1990) mettent en lumière leur système théocratique peul (1818-1862) et leur diina (gouvernement islamique), ainsi que leurs stratégies d'alliances matrimoniales avec les autres noblesses régionales.
Évolution Historique et Héritage Contemporain
La période coloniale (1890-1960) a profondément transformé les structures nobiliaires, comme en témoignent les archives de l'AOF à Dakar. Les Français ont mis en place une politique de cantonnement des chefs traditionnels et créé des chefferies administratives, tout en faisant face à des résistances nobiliaires, notamment celle des différents clans des Keita du Mandé. Aujourd'hui, comme le montrent les enquêtes de Dorothea Schulz (2001), la noblesse malienne conserve un prestige symbolique important. Son héritage se manifeste à travers la patrimonialisation des traditions (Festival du Mandé) et la persistance d'une mémoire collective entretenue par les griots. Cet héritage culturel vivant continue d'influencer les dynamiques sociales contemporaines et attire un intérêt croissant de la part des chercheurs pour ce modèle de gouvernance précolonial unique.
Conclusion : La Persistance d’un Modèle Social Original
L’étude croisée des sources écrites, orales et archéologiques révèle que la noblesse mandingue constitue une institution sociale d’une remarquable profondeur historique, structurée autour de fonctions précises et d’un ancrage coutumier puissant. Héritée de l’Empire du Mali, cette noblesse s’est révélée capable de traverser les siècles, en s’adaptant aux bouleversements politiques, coloniaux et postcoloniaux, sans jamais perdre l’essentiel de son prestige ni de son rôle culturel. Si ses prérogatives politiques formelles se sont estompées à l’ère moderne, la noblesse continue néanmoins d’occuper une place centrale dans la médiation sociale, la transmission de la mémoire historique, et l’encadrement rituel de la vie communautaire. Elle s’exprime encore aujourd’hui dans la vitalité des grandes familles, des cérémonies traditionnelles, des festivals culturels et des associations de descendants qui perpétuent les valeurs et titres de l’ancienne aristocratie impériale. Par ailleurs, l’usage de ces titres et leur reconnaissance tacite ou explicite perdurent dans la République du Mali contemporaine, où la tradition coutumière cohabite harmonieusement avec le droit républicain. Cette cohabitation, loin d’être un vestige figé, constitue un exemple vivant d’articulation entre modernité étatique et héritage historique. Ainsi, la noblesse mandingue, loin d’appartenir uniquement au passé, continue d’incarner une forme vivante de légitimité, de continuité et de dignité.
L'étude des titres utilisés dans l'Empire du Manden

Préambule
Le présent livret recense les principaux titres nobiliaires et administratifs en usage au sein de l’Empire du Mali, répartis en six grandes catégories : souverains, administratifs, militaires, grands dignitaires, cérémoniels et islamiques. Ces titres, attestés à la fois par les chroniques arabes (Ibn Battûta, al-‘Umari), les tarikhs soudanais (Tarikh al-Sudan, Tarikh al-Fattash) et la tradition orale mandingue, bénéficient d’une légitimité historique suffisante pour justifier leur réintégration symbolique au sein de la Maison Impériale du Mandé et de l’Ordre Impérial du Lion du Mandé.
I. Titres Souverains
Le Mansa ou Manden Massa, souverain sacré de l’Empire du Mali
Le Mansa (« empereur » en mandingue) était le souverain suprême de l'Empire du Mali. Détenteur de l'autorité politique, religieuse, judiciaire et militaire, il était considéré comme le garant des équilibres cosmiques et sociaux du Mandé. Trônant sous un baldaquin de soie brodée d'or, il recevait ses vassaux, ambassadeurs et marchands dans une cour impériale où les protocoles étaient strictement codifiés. Selon Ibn Battûta, le Mansa suscitait un profond respect, chacun s'inclinant jusqu'à terre à sa présence. Le Mansa désignait les gouverneurs (farba), attribuait les titres militaires (kelé-koun) et religieux (mori-koun), décidait des grandes orientations économiques et recevait les serments d'allégeance des chefs vassaux. Il veillait à l'application de la charte du Manden (Kurukan Fuga), garantissant la justice et l'équilibre entre les clans, castes et confédérations.
S'il était souvent un musulman pratiquant, le Mansa devait aussi incarner les valeurs traditionnelles du Mandé et maîtriser les codes de la parole (nyama) pour être reconnu par les griots et le peuple. Le titre de Mansa fut porté par des figures emblématiques telles que Soundiata Keita (fondateur de l'Empire), Mansa Ouali (converti à l'islam), Mansa Sakura (ancien esclave devenu empereur) et Mansa Moussa (célèbre pour son pèlerinage fastueux à La Mecque en 1324). Il fut parfois disputé entre branches rivales du clan Keita, notamment après la mort de Kankou Moussa.
Sources : Ibn Battuta, Voyages ; Al-'Umari, Masalik al-absar ; Hadrien Collet, Le sultanat du Mali ; Michael A. Gomez, African Dominion.
Le Faama : souverain vassal dans l'ordre impérial malien
Le titre de Faama (« roi guerrier » en bambara) désignait un souverain local, souvent autonome, intégré à l'Empire du Mali par alliance ou soumission. Ces Faama étaient notamment présents dans les régions bambaras, malinkés ou voltaïques. Leur autorité reposait sur la force militaire, la tradition lignagère et l'appui des sociétés initiatiques (comme le Komo). L'Empire du Mali intégra de nombreux Faama en leur permettant de conserver leur titre et leur autonomie relative, moyennant tribut et fidélité au Mansa. Cette intégration ne se fit pas sans résistances, certains Faama tentant de réaffirmer leur indépendance, comme ceux du Kénédougou ou du Bélédougou.
En contexte bambara, le Faama était un souverain conquérant, à la fois chef militaire et religieux. Il était souvent entouré d'une cour guerrière, de devins, de féticheurs et de chefs de castes. Son règne était marqué par des expéditions de razzia, des sacrifices rituels et des alliances matrimoniales stratégiques.
Sources : Tarikh al-Sudan ; Maurice Delafosse, Haut-Sénégal-Niger ; Nehemia Levtzion, Ancient Ghana and Mali.
II. Titres Administratifs
Les Farba : piliers de l'administration impériale malienne
Les Farba (pluriel de Farin, « délégués » en mandingue) étaient des gouverneurs nommés par le Mansa pour administrer les provinces conquises ou stratégiques. Leur mission consistait à assurer la présence effective du pouvoir impérial, percevoir les impôts, rendre la justice au nom du Mansa et préserver l'ordre public.
Le Farba agissait comme relais du pouvoir central, aux côtés d'un souverain local (Faama ou chef de clan) dont il équilibrait l'autorité. Il disposait de soldats, de scribes, de griots et parfois de marchands dédiés. En cas de révolte, il pouvait demander le renfort de l'armée impériale.
Quelques fonctions spécifiques de Farba :
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Farba-Kolo : gouverneur militaire d’une région frontalière
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Farba-Sila : préposé aux voies de communication et à la logistique
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Farba-Keneya : responsable de la santé publique et des bains collectifs
Ce système de farba était un mécanisme clé de contrôle territorial et d'intégration progressive des zones périphériques.
Sources : Al-'Umari, Masalik al-absar ; Claude Meillassoux, Anthropologie de l'esclavage ; Michael A. Gomez, African Dominion ; Nehemia Levtzion, Ancient Ghana and Mali.
Les Djamana-Tigui : gestionnaires du terroir impérial
Le Djamana-Tigui (« chef de province ») était le plus haut responsable civil d'une grande subdivision de l'empire. Il supervisait les Kafo-Tigui et les Dougou-Tigui, contrôlait les activités économiques et veillait à l'application des décisions impériales.
Il organisait les collectes fiscales, mobilisait la main-d'œuvre pour les grands travaux, surveillait les marchés et les entrepôts, et faisait remonter les doléances au Mansa. Il était aussi responsable de la tenue des registres oraux ou mnémoniques (colliers de cauris, ficelles à nœuds, noyaux gravés) pour consigner les contributions des villages, les litiges ou les décisions importantes.
Le Djamana-Tigui présidait parfois des assemblées locales lors des grandes fêtes agricoles ou religieuses. Il était souvent un noble issu d’une famille fidèle à la dynastie Keita.
Sources complémentaires :
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Youssouf Tata Cissé, La confrérie des chasseurs malinké
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Tarikh al-Sudan ; traditions orales des griots de Kangaba.
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Collectif, Architecture traditionnelle mandingue (UNESCO, 1982)
Le Kafo-Tigui : pivot administratif de l'ordre impérial
Le Kafo-Tigui (« chef de canton ») était le responsable d’un regroupement de villages ayant des liens culturels, géographiques ou commerciaux. Il coordonnait les Dougou-Tigui (chefs de village), gérait les litiges inter-villageois, organisait les corvées collectives (barrages, digues, routes) et servait de relais économique et politique auprès du Djamana-Tigui.
Il surveillait aussi les échanges entre villages, les foires rurales, les migrations saisonnières de cultivateurs ou de bergers. Chaque cycle lunaire, le Kafo-Tigui adressait un rapport au Djamana-Tigui par l'intermédiaire de messagers équestres ou de griots-courriers.
Le Kafo-Tigui devait faire preuve de diplomatie, d’expérience agricole et de lignage prestigieux pour inspirer le respect des clans villageois.
Sources :
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Traditions orales des griots Keita (archives de Koulikoro)
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Djibril Tamsir Niane, Soundjata ou l'épopée mandingue
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Tal Tamari, Les structures de l'administration impériale malienne (CNRS, 1996)
Dougou-Tigui – Chefs de Village
Le Dougou-Tigui (« chef de village ») était la plus petite autorité administrative du Mandé, mais l'une des plus essentielles. Il gérait le terroir villageois (forêts, champs, puits, sanctuaires), arbitré les conflits domestiques, organisait les semailles et les récoltes, et présidait aux rites propitiatoires. La maison du Dougou-Tigui (le dugukêne) était souvent construite en banco surélevé, au centre du village. Elle servait de maison de palabre, de lieu de mémoire lignagère et de résidence honorifique. Le Dougou-Tigui était désigné par les anciens du lignage fondateur (tyenya), mais sa nomination devait être confirmée par le Kafo-Tigui pour être reconnue. Il était le gardien des traditions, des tabous locaux et du bon ordre communautaire.
Le Kankoro Sigi
Le Kankori-Sigui était l’un des plus puissants dignitaires de la cour impériale. Il assumait des fonctions comparables à celles d’un maître de cérémonie, d’un chambellan ou d’un ministre de la Maison impériale, chargé de la gestion des affaires domestiques du palais, du protocole et de la garde rapprochée. Il désignait aussi le second du Mansa que l'on pourrait voir comme son potentiel successeur en son absence.
Ses responsabilités incluaient :
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La gestion de la cour impériale et des cérémonies ;
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La supervision des serviteurs du palais et du personnel de la maison royale ;
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Le contrôle des audiences et des accès au Mansa (empereur) ;
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Une fonction de conseil et d’intermédiaire entre l’empereur et les autres chefs militaires ou administratifs.
Importance sous Mansa Moussa
À l’époque de Mansa Moussa (1312–1337), l’empire du Mali atteignait l’apogée de sa puissance, de sa richesse et de son prestige international. Le poste de Kankori-Sigui devint alors crucial pour maintenir la discipline protocolaire et assurer la centralisation du pouvoir impérial.
Selon certaines traditions orales et sources historiques comme les chroniques de l’historien maghrébin al-‘Umari, le Mansa s’entourait d’un vaste appareil administratif dont le Kankori-Sigui était un pilier.
Le Kankori-Sigui portait des signes de son autorité :
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Un bâton cérémoniel ou un symbole distinctif de commandement ;
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Il était souvent accompagné d’une escorte protocolaire, marquant son rang ;
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Il siégeait dans l’entourage immédiat de l’empereur lors des apparitions officielles.
Sources :
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Ce titre est mentionné dans les récits des voyageurs arabes comme Ibn Battûta (qui visita le Mali vers 1352), ainsi que dans les chroniques orales du Mandé et les travaux d’ethnohistoriens modernes comme Youssouf Tata Cissé ou Djibril Tamsir Niane.
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Le terme “sigui” est un mot bambara ou mandingue signifiant chef ou commandant, tandis que “kankori” (ou kankoro) peut renvoyer au quartier du palais ou de la cour, d'où l’idée de “chef de la cour”.
5. Héritage et postérité
Le poste de Kankori-Sigui représente l’un des modèles historiques d’un grand officier du palais africain précolonial. Il inspire aujourd’hui la réhabilitation de titres traditionnels dans les institutions symboliques comme les ordres de chevalerie du Mandé ou les reconstitutions de cours impériales maliennes.








III. Titres Militaires
Farin (ou Farima) – Commandants de la Cavalerie Impériale
Le Farin, ou Farima, désignait les prestigieux commandants de la cavalerie impériale du Mali. Officiers d’élite et piliers de la puissance militaire mandingue, ils incarnaient à la fois le prestige, la discipline et la bravoure martiale. À la tête de redoutables unités montées, les Farin commandaient des garnisons entières et disposaient de troupes d’élite sélectionnées pour leur loyauté et leur vaillance.
Leur formation débutait dès l’adolescence, mêlant apprentissage équestre, maniement des armes et tactiques militaires. Selon le Tarikh al-Fattash, un Farin dirigeait souvent une garde personnelle de 50 à 100 cavaliers d’élite, et recevait, en récompense de ses services, des terres, des présents en nature, voire des esclaves. Le voyageur Ibn Battuta, de passage au Mali au XIVe siècle, décrit ces chefs militaires comme des hommes imposants, vêtus de cotonnades fines, montés sur des chevaux richement harnachés, incarnant l’élégance et la puissance de l’armée malienne.
Le plus célèbre d’entre eux reste Tiramakhan Traoré, compagnon de Soundjata Keïta, dont les conquêtes vers l’ouest consolidèrent l’empire. Son nom demeure synonyme de loyauté, d’audace et de compétence militaire.
Sources : Ibn Battuta, Rihla ; Tarikh al-Fattash ; Djibril Tamsir Niane, Soundjata ou l’épopée mandingue.
Farim-Soura – Commandant des Frontières Nord et Protecteur des Routes Transsahariennes
Le Farim-Soura était responsable de la protection des frontières septentrionales de l’empire et des routes commerciales transsahariennes. Installé dans des postes fortifiés le long des axes caravaniers, il dirigeait des troupes mobiles et des réseaux d’espions parmi les tribus nomades. Ce rôle stratégique comprenait également le contrôle des péages commerciaux et la surveillance des flux de marchandises.
Al-‘Umari rapporte que les Farim-Soura entretenaient des alliances et des relais d'information au sein des confédérations touarègues pour anticiper les incursions. Leur pouvoir était renforcé par des privilèges particuliers, tels que le droit de prélever une dîme sur les marchandises traversant leur secteur.
Sources : Al-‘Umari ; M. Hiskett, The Sword of Truth.
Sankar-Zouma – Commandant de la Région du Sankarani
Le Sankar-Zouma, littéralement « maître du Sankarani », était le commandant militaire en chef chargé de la surveillance et de la défense de la vallée du Sankarani, une région stratégique située au sud de Niani, capitale impériale de l’Empire du Mali. Ce poste hautement sensible revêtait une importance capitale pour la sécurité de l’empire, car il contrôlait l’une des principales voies d’accès vers le cœur du pouvoir impérial. Traditionnellement, la fonction de Sankar-Zouma était confiée à un membre du clan Condé, l’un des lignages militaires les plus respectés du Mandé, connu pour sa bravoure et son sens tactique. Le titulaire du poste dirigeait les garnisons locales et supervisait un réseau de gués fortifiés, de tours de guet et de petites forteresses répartis le long de la rivière Sankarani, servant à détecter et à repousser toute incursion ennemie depuis le sud. Selon la tradition orale rapportée par les griots, lors de la bataille de Kirina, un ancien Sankar-Zouma se serait illustré en repoussant, à lui seul, une charge de cavalerie ennemie, démontrant ainsi la bravoure et la discipline légendaire associées à cette fonction. Ce récit, qu’il soit historique ou épique, témoigne du prestige attaché à ce titre et de son rôle essentiel dans la défense territoriale de l’empire.
Sources : Griots du Mandé ; traditions orales rapportées par Djibril Tamsir Niane.
Farari – Braves de l’Empire et Garde d’Honneur du Mansa
Les Farari (pluriel de farariya, signifiant « les braves » en mandingue) constituaient l’un des corps militaires les plus prestigieux de l’Empire du Mali. Issus des anciennes compagnies guerrières qui avaient combattu aux côtés de Soundjata Keita, ils devinrent plus tard la garde rapprochée du Mansa ainsi que des hauts dignitaires impériaux. Leur fonction combinait loyauté, excellence militaire et rôle cérémoniel à la cour.
Ces soldats d’élite étaient facilement reconnaissables à leurs tuniques rouges, leurs coiffes ornées de plumes, ainsi qu’à leurs boucliers en peau d’hippopotame, réputée pour sa solidité. Armés de lances à pointe de fer, les Farari formaient une ligne de front redoutable, avançant au rythme des tambours de guerre. L’historien arabe Ibn Khaldoun note qu’ils formaient « un mur impénétrable » en combat, témoignant de leur discipline et de leur organisation sur le champ de bataille.
Leur formation était particulièrement rigoureuse. D’après l’épopée de Soundjata, l’entraînement des Farari comprenait des rites initiatiques secrets, des épreuves d’endurance extrême et des techniques de combat intensif. L’initiation à ce corps d’élite était souvent réservée aux jeunes nobles ou guerriers issus de lignages militaires, sélectionnés pour leur bravoure, leur loyauté et leur capacité à supporter la douleur et l’isolement rituel.
Lors du séjour d’Ibn Battuta à la cour du Mansa Souleymane (vers 1352), un corps militaire d’élite était bien présent et visible à la cour. Ces hommes, selon plusieurs chercheurs modernes, étaient les héritiers des premiers ton-tigi (chefs de compagnies) ayant combattu aux origines de l’empire. Ils portaient encore le titre de Farari ou Farariya, et certains d’entre eux étaient promus au rang de commandants de cavalerie, chefs de terrain, ou gouverneurs militaires (ton-tigi) des Barga, c’est-à-dire des provinces éloignées.
Avec le temps, le titre de Farari fut adopté et transformé dans les États successeurs de l’Empire du Mali, notamment dans l’Empire Songhaï, où plusieurs variantes du terme furent utilisées pour désigner des commandants ou des officiers supérieurs.
Sources :
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Ibn Battuta, Rihla (1352) – passage sur la garde du Mansa.
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Ibn Khaldoun, Kitab al-‘Ibar – description de l’armée malienne.
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Niane, Djibril Tamsir. Soundjata ou l’épopée mandingue – formation des guerriers.
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Levtzion, Nehemia & Hopkins, John F.P. (eds), Corpus of Early Arabic Sources for West African History.
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Conrad, David C. Empires of Medieval West Africa – fonctions militaires et héritage des Farari.
Farima – Chevalier et Commandant de Cavalerie de l’Empire
Le Farima (également appelé Farin ou Faran) était un titre militaire prestigieux au sein de l’armée impériale du Mali. Dérivé de la racine mandingue fara (« brave, courageux »), le Farima était un type spécifique de farariya, sans doute le plus courant et emblématique. Comparable dans sa fonction au chevalier européen, le Farima incarnait la noblesse guerrière du Mandé, alliant loyauté envers le Mansa et expertise tactique sur le champ de bataille.
Le Farima était avant tout un chef de cavalerie, menant à cheval une unité d'élite, souvent composée de guerriers expérimentés. En campagne, il collaborait étroitement avec le Kèlè-Koun (commandant de l’infanterie), coordonnant les manœuvres combinées des troupes montées et des fantassins. Cette capacité de commandement intégré faisait du Farima un stratège de premier ordre dans l’organisation militaire mandingue.
Relevant directement du Mansa, le Farima jouissait de privilèges particuliers à la cour. En récompense de ses exploits, il recevait des pantalons d’honneur (kasa, dont la largeur symbolisait le mérite martial), des bracelets de cheville en or, ainsi que des terres et des vassaux (jonow), qui l’accompagnaient en campagne et assuraient sa logistique militaire.
Bien que toujours présent dans l’entourage impérial, le Farima n’était pas nécessairement un ton-tigi (gouverneur de province), mais il pouvait le devenir. Dans certaines régions frontalières ou sensibles, un Farima était parfois nommé gouverneur militaire permanent, chargé de défendre les territoires de l’Empire. Un exemple notable est celui du Farim-Kabu, rencontré par les explorateurs portugais au XVe siècle, alors que l’influence du Mali déclinait dans certaines zones occidentales.
Contrairement à d’autres Farari qui pouvaient provenir de lignages guerriers subalternes ou clientélisés, le Farima devait obligatoirement être issu du horon, c’est-à-dire de la noblesse libre et légitime du Mandé, renforçant ainsi le caractère aristocratique et héréditaire de sa charge.
Sources :
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Djibril Tamsir Niane, Soundjata ou l’épopée mandingue – notions sur les castes et titres militaires.
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David C. Conrad, Empires of Medieval West Africa – sur les farariya et la cavalerie malienne.
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Nehemia Levtzion & John Hopkins (eds.), Corpus of Early Arabic Sources for West African History – témoignages d’Ibn Battuta et d'autres voyageurs.
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Thomas A. Hale, Griots and Griottes – sur le système de titres et les castes sociales.
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Explorateurs portugais cités dans : R. Smith, Kingdoms of the Savannah (1989), concernant le Farim de Kabu.
Farimba – Gouverneur Impérial et Officier de Confiance du Mansa
Le titre de Farimba était l’un des plus prestigieux dans l’organisation administrative et militaire de l’Empire du Mali. Dérivé du mot mandingue fara (« courageux » ou « brave »), suivi du suffixe -mba indiquant la grandeur ou la supériorité, le terme peut se traduire approximativement par « grand chef de guerre » ou « haut commandant ». Toutefois, sa fonction allait bien au-delà du simple commandement militaire.
Contrairement au Farima, essentiellement un commandant de cavalerie issu de la noblesse guerrière (horon), le Farimba pouvait être issu soit de cette noblesse, soit du groupe des jonow (anciens captifs ou dépendants nobles). En effet, il était courant — et parfois politiquement stratégique — pour le Mansa de nommer un jonow fidèle au poste de Farimba dans une province ou une ville riche, car ce dernier, entièrement tributaire du souverain pour son autorité, lui assurait une loyauté absolue. Cette pratique permettait au Mansa de contourner l’influence locale de certaines familles aristocratiques trop puissantes.
Le Farimba exerçait des fonctions à la fois civiles, administratives et militaires. Il agissait comme résident impérial ou gouverneur délégué, déployé dans les provinces ou les cours vassales afin d’y surveiller les autorités locales, de garantir la conformité de leurs politiques avec celles de la capitale, et d'assurer la stabilité de l’ordre impérial. Dans les régions éloignées, il représentait le pouvoir central, et pouvait intervenir directement dans les affaires locales, voire s’emparer de la cour vassale si celle-ci contrevenait aux volontés du Mansa.
Selon Ibn Khaldoun, le terme Farimba était compris comme désignant un gouverneur ou un député du roi, ce qui reflète bien, même si de manière simplifiée, la complexité de sa fonction : à la fois délégué politique, surveillant militaire et intermédiaire diplomatique. Le Farimba disposait souvent d’une petite garnison armée, stationnée dans la capitale provinciale ou à proximité, afin de faire respecter ses ordres et maintenir la paix dans la région.
Les Farimba étaient aussi récompensés pour leur fidélité et leurs exploits : ils recevaient des terres, des richesses et des titres honorifiques, consolidant leur rôle au sein de l’élite impériale. Leur présence constante dans les zones sensibles faisait d’eux des piliers de la centralisation impériale et de l’expansion territoriale du Mali.
Sources :
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Ibn Khaldoun, Kitāb al-ʿIbar, traduction : le Farimba comme gouverneur ou envoyé du roi.
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Levtzion, Nehemia & Hopkins, John F.P. (eds.), Corpus of Early Arabic Sources for West African History.
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David C. Conrad, Empires of Medieval West Africa (2005) – sur les structures de gouvernance malienne.
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Thomas A. Hale, Griots and Griottes – sur les titres et systèmes de dépendance (jonow/horon).
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Niane, Djibril Tamsir, Soundjata ou l’épopée mandingue – fonction symbolique et politique des titres.
Duukunasi (ou Dougou Kounnasi) – Commandant d’infanterie de garnison
Le Duukunasi — ou Dougou Kounnasi, selon les variantes régionales mandingues — était un commandant d’infanterie subordonné au Farimba, chargé de diriger les troupes stationnées dans une province impériale ou une ville importante. Le titre se traduit littéralement par « homme impressionnant à la tête du pays » (duugu ou dougou = village, pays ; kounnasi = tête ou chef). Il désignait une autorité militaire intermédiaire exerçant un commandement local, souvent dans un contexte de garnison ou de défense provinciale.
Dans les zones où le Farimba représentait le pouvoir impérial en tant que gouverneur ou résident militaire, le Duukunasi servait d’auxiliaire militaire permanent. Il commandait principalement une force d’infanterie, en complément de la cavalerie dirigée par le Farimba, mais sans autorité indépendante. Son rôle était d'assurer le maintien de l'ordre, la surveillance des frontières, et la protection des places fortes ou des axes commerciaux, notamment en l’absence d’hostilités majeures.
Contrairement aux unités régulières commandées par les Farima (généraux de cavalerie) ou les Kèlè-Koun (chefs d’infanterie en campagne), les troupes sous le commandement du Duukunasi étaient généralement des soldats de garnison, souvent composés en partie — voire en totalité — de captifs militarisés (jonow) ou de dépendants servant dans une structure permanente. Cette infanterie locale permettait de consolider le pouvoir impérial sans entretenir une armée noble trop coûteuse.
Attention à la confusion : Dougou Kounnasi comme lignée
Il est important de distinguer le titre militaire Duukunasi du concept plus largement diffusé de Dougou Kounnasi dans la culture mandingue. Ce dernier terme peut également désigner une lignée royale ou noble issue d’un village fondateur, principalement chez les Malinkés et Dioulas. Dans ce sens, Dougou renvoie au pays, village ancestral ou territoire d’origine, et Kounnasi à la chefferie ou au lignage dirigeant.
Dans ce cadre généalogique et social, un Dougou Kounnasi est un membre d’une lignée prestigieuse ayant fondé ou dirigé un village ou une région, parfois reconnu pour son ancienneté et son autorité morale. Ces lignages jouent un rôle central dans la préservation des traditions, la transmission du pouvoir coutumier et les décisions communautaires importantes. Ils jouissent souvent d’un statut élevé, mais ne doivent pas être confondus avec le titre administratif ou militaire de Duukunasi, bien que les deux notions puissent historiquement se recouper.
Sources :
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Nehemia Levtzion & John F.P. Hopkins, Corpus of Early Arabic Sources for West African History – organisation militaire et garnisons.
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Djibril Tamsir Niane, Soundjata ou l’épopée mandingue – vocabulaire et hiérarchies sociales.
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David C. Conrad, Empires of Medieval West Africa – systèmes militaires et autorités locales.
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Thomas A. Hale, Griots and Griottes – sur les lignages fondateurs et leur rôle dans la tradition mandingue.
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Observations ethnolinguistiques issues de : Charles Bird et al., Mandé Studies, notamment sur la sémantique des titres mandingues.
Ton-Tigui (ou Tontigui) – Maîtres du carquois royal et commandants des archers
Les Ton-Tigui, littéralement « maîtres du carquois », formaient une aristocratie militaire héréditaire dans l’Empire du Mali. Dépositaires du carquois royal, symbole de l'autorité déléguée du Mansa, ils jouissaient d’un prestige élevé au sein de l’armée et du système féodal mandingue. Leur titre, à la fois militaire et rituel, se transmettait héréditairement au sein des clans nobles, chaque clan étant tenu de fournir un ou plusieurs Ton-Tigui selon sa taille, son statut et ses obligations envers la cour.
À la guerre, les Ton-Tigui commandaient les troupes d’archers, de frondeurs et de tirailleurs, c’est-à-dire l’avant-garde de l’armée. Leur rôle était crucial pour affaiblir les lignes ennemies avant le choc de la cavalerie ou l’assaut de l’infanterie lourde. Leur maîtrise de l’arc et de la fronde, armes emblématiques de la tradition mandingue, s’accompagnait d’une connaissance tactique des terrains ouverts comme des zones boisées.
Leur formation comprenait un cycle initiatique strict, souvent gardé secret, durant lequel ils devaient fabriquer eux-mêmes leurs flèches à partir de matériaux rituels : bois de néré ou de karité, plumes de certains oiseaux, et fer forgé selon des règles précises. Ce processus n’était pas qu’un exercice technique, mais un acte de transmission symbolique du pouvoir ancestral lié au tir, à la précision et à la vigilance.
L’accès au carquois royal ne relevait pas seulement d’un honneur, mais d’un devoir sacré. Le port de ce carquois en cuir décoré de motifs traditionnels signalait leur autorité militaire, mais aussi leur appartenance à une caste de guerriers nobles chargés de défendre le Mansa lui-même, notamment dans les expéditions impériales ou les conflits internes.
Dans les récits oraux transmis par les djeliw (griots), les Ton-Tigui apparaissent souvent comme les premiers à combattre et les derniers à battre en retraite, incarnant l’esprit de sacrifice et de discipline militaire. Leurs exploits sont souvent exaltés dans les chants épiques tels que ceux du "Bataillon de l’Ombre", où ils sont décrits comme les sentinelles des rois et gardiens des frontières.
Sources :
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Djibril Tamsir Niane, Soundjata ou l’épopée mandingue – descriptions rituelles et fonctions militaires.
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Nehemia Levtzion, Ancient Ghana and Mali – structure militaire et noblesse guerrière.
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David C. Conrad, Empires of Medieval West Africa – fonctions héréditaires et commandement militaire.
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John William Johnson et Thomas A. Hale, Griots and Griottes – importance rituelle des Ton-Tigui dans les récits oraux.
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Corpus oral recueilli auprès de griots dans les régions de Kangaba et Ségou (données ethnographiques secondaires).
Kèlèkoun – Chefs de guerre de l’infanterie
Les Kèlèkoun (ou Kèlè-kun, littéralement « têtes de guerre ») étaient les commandants des unités d'infanterie régulière de l’Empire du Mali. Recrutés parmi les hommes libres (horon), ces officiers formaient l’épine dorsale des troupes impériales lors des batailles terrestres, en particulier lors des sièges, des défenses de fortifications, ou des assauts coordonnés avec la cavalerie des Farima.
Leurs unités, composées de piquiers et de fantassins équipés de lances, de sagaies et de coupe-coupe, étaient organisées en formations serrées. Leur tactique emblématique, mentionnée dans certaines traditions orales mandingues, consistait à former des « hérissons défensifs » avec des boucliers en cuir renforcé et des pointes, pour résister aux charges ennemies ou aux tirs. Moins bien équipés que les troupes d’élite comme les Farari, les fantassins dirigés par les Kèlèkoun n’en étaient pas moins essentiels : ils représentaient le gros des forces sur le terrain.
En temps de guerre, les Kèlèkoun coordonnaient leurs mouvements avec les Farima et les Ton-Tigui, agissant parfois de concert avec des troupes esclaves encadrées par des Duukunasi.
Kèlè-Bolo – Officiers subalternes des lignes de front
Les Kèlè-Bolo (« armes de guerre » ou « instruments de combat ») constituaient une caste intermédiaire d’officiers subalternes, souvent issus de la petite noblesse, de familles marchandes ou de lignées riches capables d'équiper leurs fils pour la guerre. Ils commandaient des unités de 20 à 50 hommes, servant de lieutenants aux Kèlèkoun sur les champs de bataille.
Leur statut leur permettait certains privilèges vestimentaires et symboliques, tels que le port de bracelets en cuivre, signe distinctif de leur rang. Par leur ascension méritocratique, ils incarnaient une forme de mobilité au sein de la hiérarchie militaire mandingue, en tant que cadres intermédiaires entre la noblesse guerrière et les soldats libres.
Tontajon Taniworo – Les Seize Clans des Porteurs de Carquois
Dans l’ordre militaire et social mandingue, les Tontajon Taniworo (« seize porteurs de carquois ») désignaient les seize clans nobles ou hommes libres autorisés à porter l’arc, symbole fondamental de l’autonomie et de la dignité. Seuls les membres de ces lignages avaient le droit de circuler armés dans l’espace public, notamment avec leur carquois garni de flèches, signe distinctif de leur rang et de leur statut de guerrier-horon.
Ce privilège, observé par les voyageurs portugais du XVe siècle, soulignait une hiérarchie stricte où la possession d’armes était autant un marqueur social qu’un devoir militaire. Ces clans formaient une aristocratie combattante, et les Ton-Tigui étaient souvent issus de ces lignées.
Leur mission allait au-delà du champ de bataille : garants des valeurs guerrières et de la transmission des techniques de tir, ils jouaient un rôle dans les rituels initiatiques, les formations militaires et les conseils locaux du village ou de la province.
Sources et références possibles :
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Djibril Tamsir Niane, Soundjata ou l’épopée mandingue – structure militaire traditionnelle.
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Nehemia Levtzion, Ancient Ghana and Mali – fonctions de commandement et société militaire.
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David C. Conrad, Empires of Medieval West Africa – distinctions sociales et pratiques guerrières.
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João de Barros, Décadas da Ásia – observations portugaises sur les guerriers maninka armés en ville.
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John Hunwick et al., Arabic Literature of Africa – termes militaires relevés dans les chroniques.
Le Sofa
Le titre de Sòfà désigne un officier militaire au service d’un dignitaire ou du souverain dans l’Empire du Mali. Il s’agissait d’un guerrier-affranchi ou soldat personnel, souvent d’origine servile ou modeste, mais élevé par ses qualités au rang de soldat d’élite. Le mot sòfà, en mandingue, combine sò (maison ou cheval) et fà (père ou homme de), indiquant un homme attaché à une maison ou serviteur militaire d’un seigneur. Cette étymologie traduit à la fois la fonction martiale du personnage et sa relation de fidélité à un maître ou à une lignée noble.
Les Sòfaw constituaient une force militaire de confiance, utilisée dans la garde rapprochée des souverains, dans les expéditions militaires ou pour la protection des territoires impériaux. Ils pouvaient aussi être chargés de l’encadrement de troupes auxiliaires, du commandement de garnisons locales ou encore de missions de collecte de tributs armés. Leur loyauté inconditionnelle faisait d’eux des instruments efficaces de maintien de l’ordre, notamment dans les zones frontalières ou fraîchement conquises.
Bien que souvent issus de milieux non nobles ou captifs de guerre, les Sòfaw bénéficiaient d’une voie d’ascension sociale par le mérite militaire. À force de bravoure, certains furent élevés au rang de commandants ou de chefs de poste, voire intégrés dans les élites locales. Cette possibilité d’élévation sociale conférait au titre de Sòfà une valeur d'exemplarité et d’honneur pour les classes subalternes, tout en assurant à l’Empire du Mali un vivier solide de guerriers expérimentés et loyaux.
L’histoire orale du Mandé, transmise par les griots, rapporte de nombreux exemples de Sòfaw ayant accompagné Soundjata Keïta et ses successeurs dans leurs campagnes militaires. Certains reçurent en récompense des terres ou des postes d’autorité dans les provinces de l’empire. Leur rôle central dans l’extension et la stabilisation du territoire impérial fut donc essentiel, à la fois d’un point de vue militaire et politique.
Dans la mémoire impériale et dans les institutions contemporaines qui s’inspirent de l’héritage du Mandé, le titre de Sòfà conserve une forte charge symbolique. Il évoque la figure du guerrier fidèle, valeureux et discipliné, entièrement voué à la défense de son maître, de son peuple ou de son empire. Ce modèle militaire incarne l’union entre service et mérite, et mérite d’être réhabilité dans toute sa dignité.











IV. Titres des Grands Dignitaires
Babili-Farma – Ministre de l’Agriculture
Le Babili-Farma, littéralement « maître des cultures », occupait une fonction stratégique dans la structure économique de l’Empire du Mali. Il dirigeait l’ensemble de l’activité agricole impériale, assurant l’approvisionnement régulier des greniers royaux et la stabilité alimentaire du pays. Depuis sa chancellerie à Niani, il fixait les périodes de semis, organisait les travaux collectifs d’irrigation et surveillait les rendements saisonniers.
Les manuscrits de Tombouctou signalent l’existence sous sa direction d’un réseau d’agronomes itinérants chargés d’expérimenter de nouvelles méthodes culturales, notamment pour faire face aux variations climatiques entre zones sahéliennes et régions fluviales. Chaque année, le Babili-Farma présidait la cérémonie des premières pluies, où le Mansa bénissait les semences en présence des membres du Gbara.
Sources : Manuscrits de Tombouctou ; traditions orales mandingues.
Ouani-Farma (ou Dugu-Fama) – Ministre des Terres
Le Ouani-Farma, également connu sous le nom de Dugu-Fama (« seigneur des terres »), était le grand intendant du foncier impérial. Il supervisait la délimitation des terres royales, la redistribution des terres cultivables, ainsi que la régulation des droits d’usage. Cette fonction était cruciale dans une société agraire où les conflits fonciers étaient fréquents.
Son administration comprenait des cartographes, des inspecteurs et des délégués itinérants chargés de documenter les usages coutumiers, veiller à la rotation des cultures et résoudre les différends liés à l’héritage ou à la propriété. Il travaillait en concertation avec les chefs locaux et les notables pour assurer un équilibre entre les obligations fiscales, les besoins communautaires et les prérogatives royales.
Sources : Wa Kamissoko ; archives orales conservées à Kangaba.
Hari-Farma (ou Dyi-Tigi) – Ministre du Fleuve et des Ressources Hydrauliques
Le Hari-Farma, ou Dyi-Tigi (« maître des eaux »), était en charge de la régulation du fleuve Niger et de ses affluents, ressources vitales pour l’agriculture, la pêche, le commerce et l’extraction aurifère. Il gérait les droits de passage fluvial, les infrastructures portuaires et les activités de dragage.
Sous son autorité fonctionnaient les chantiers navals royaux, où étaient construites de grandes pirogues de guerre et de commerce. Il coordonnait aussi des expéditions destinées à l’extraction d’or alluvionnaire, dont les profits alimentaient directement le trésor impérial. Sa charge exigeait à la fois expertise technique et diplomatie, car les eaux navigables étaient partagées par de nombreuses communautés.
Sources : Tarikh al-Fattash ; récits de voyageurs sahéliens.
Sao-Farma (ou Tu-Tigi) – Ministre des Forêts et des Ressources Naturelles
Le Sao-Farma était le haut responsable de la gestion des forêts royales, des ressources végétales, de la faune et des zones boisées de l’empire. Il encadrait les pratiques de chasse, de cueillette, d’exploitation du bois et de collecte médicinale. Des quotas stricts et des zones protégées étaient instaurés sous son autorité.
Les gardes forestiers impériaux, reconnaissables à leurs tuniques vertes et à leur emblème en forme de feuille, sillonnaient les forêts pour prévenir la déforestation illégale et préserver les écosystèmes. Le Sao-Farma jouait un rôle central dans le maintien de l’équilibre écologique, notamment en lien avec l’artisanat, la médecine traditionnelle et la navigation.
Sources : Traditions mandingues ; enquêtes ethnobotaniques contemporaines.
Khalisi-Farma – Trésorier impérial
Le Khalisi-Farma administrait le trésor impérial, gardien des lingots d’or, des tributs, des monnaies et des réserves stratégiques de métaux précieux. Depuis sa chambre forte à Niani, il supervisait un corps de scribes, comptables et linguistes, parfois recrutés dans les milieux érudits du Maghreb, comme le note al-ʿUmari dans Masālik al-Abṣār.
La monnaie d’or utilisée, appelée mali, servait d’étalon dans les transactions commerciales internes et externes. La sécurité du trésor était assurée par une garde d’eunuques, sélectionnés pour leur loyauté et leur discipline. La fonction du Khalisi-Farma impliquait une connaissance précise des balances commerciales, de la fiscalité et des circuits d’échange internationaux.
Sources : Al-ʿUmari ; Ibn Khaldûn ; Corpus of Early Arabic Sources.
Bèlèkoun-Tigui – Chef des archives impériales
Le Bèlèkoun-Tigui était le scribe en chef de l’Empire du Mali, responsable des archives officielles conservées à Niani. Il supervisait l’enregistrement des décisions du Gbara, des traités, des chroniques dynastiques, et des cadastres fonciers.
Lettré en arabe classique et en symbolismes locaux (comme le nsibidi ou le wakara), il assurait la transmission fidèle des actes impériaux. Les manuscrits de Tombouctou évoquent son rôle dans les correspondances diplomatiques, où sa plume faisait autorité. Il garantissait l’authenticité et la traçabilité des documents, fondement de la légitimité impériale.
Sources : Manuscrits de Tombouctou ; Levtzion & Hopkins, Corpus of Early Arabic Sources.
Wanjira-Farma – Ministre du commerce transsaharien
Le Wanjira-Farma gérait les routes caravanières qui reliaient le Mandé aux régions du Maghreb et du Proche-Orient. Il organisait les grandes expéditions commerciales de sel, d’or, d’étoffes, d’esclaves et de biens de luxe, s’appuyant sur un vaste réseau de commerçants dioulas et d’aznagui (guides caravanes).
Il fixait les droits de douane, réglementait les balances d’échange dans les entrepôts majeurs comme Tombouctou, Oualata ou Gao, et veillait à la sécurité des routes. Les témoignages d’Ibn Battûta et d’al-ʿUmari soulignent son importance dans la stabilité économique et diplomatique de l’empire.
Sources : Ibn Battûta ; al-ʿUmari ; Masālik al-Abṣār.
Soni-Farma – Surveillant impérial des mines d’or
Le Soni-Farma était chargé de la gestion des mines d’or situées dans les régions de Bambouk, Bouré et Galam. Il commandait les opérations d’extraction, encadrait les travailleurs miniers (souvent issus de la caste des esclaves warabi), et assurait le respect des normes de production.
Les quantités extraites étaient contrôlées, standardisées et transférées au trésor impérial sous la surveillance du Khalisi-Farma. Timothy Garrard et le Tarikh al-Fattash mentionnent son rôle décisif dans la politique économique et la stabilité monétaire de l’empire.
Sources : Tarikh al-Fattash ; Garrard, Gold of Africa.
Mansa-Koro – Juge suprême de l’Empire
Le Mansa-Koro, ou « Mansa secondaire », assumait la fonction de juge suprême. Second du souverain, il garantissait l’application équitable de la Charte du Mandé (Kurukan Fuga). Il présidait les procès les plus importants, notamment ceux impliquant les grandes familles ou les chefs de province.
Sa mission consistait à maintenir l’harmonie entre coutume orale, jurisprudence du Gbara, et évolutions sociales. Selon les traditions collectées par Wa Kamissoko et rapportées par D. T. Niane, le Mansa-Koro était incontournable dans toute déclaration de guerre, garantissant sa conformité aux principes moraux de l’empire.
Sources : Wa Kamissoko ; D. T. Niane, Soundjata ou l’épopée mandingue.
Donsolu-Tigui – Responsable des esclaves royaux
Le Donsolu-Tigui était l’autorité en charge des esclaves royaux (jonow), qu’il répartissait entre travaux agricoles, chantiers d’État, service militaire ou domestique. Il surveillait les conditions de vie et tranchait les litiges internes à la caste servile.
Bien que gestionnaire d’un système hiérarchique rigide, il pouvait intervenir pour limiter les abus, assurant une forme de régulation éthique. Son autorité, documentée dans les travaux de Claude Meillassoux, s’étendait sur tout le territoire impérial.
Sources : Meillassoux, Anthropologie de l’esclavage.
Soma-Farma – Grand prêtre des cultes traditionnels
Le Soma-Farma dirigeait les komow, prêtres traditionnels mandingues. Il était le gardien des rites ancestraux, notamment ceux liés aux sanctuaires royaux de Kangaba, et consultait les oracles en période de crise.
En charge des rites de passage et des sacrifices rituels, il intervenait dans les intronisations royales. Selon Youssouf Tata Cissé, il représentait la continuité religieuse autochtone face à la montée de l’islam dans les sphères du pouvoir.
Sources : Y. T. Cissé, La confrérie des chasseurs ; traditions orales du Mandé.
Mori-Farma – Chef des érudits musulmans
Le Mori-Farma était le chef du corps des morikè, lettrés musulmans œuvrant dans les centres savants de Tombouctou, Djenné et Gao. Il assurait la conformité des lois à la charia, organisait le pèlerinage impérial à La Mecque, et gérait les biens religieux (wakfs).
Le Tarikh al-Sudan témoigne de son influence croissante sous les souverains islamisés. Il conseillait le Mansa dans les affaires diplomatiques avec le monde musulman et jouait un rôle de médiation religieuse entre tradition mandingue et réformes spirituelles.
Sources : Tarikh al-Sudan ; Nehemia Levtzion, Islam in West Africa.
Le Sandaki ou haut conseiller de la cour
Le titre de Sandaki, dans l’Empire du Mali, désignait un haut dignitaire de la cour impériale, occupant la fonction de grand conseiller du Mansa. Il s'agissait d’un ministre de confiance, détenteur d’une autorité considérable dans l’administration centrale. Le terme Sandaki, parfois orthographié Sanda-kê ou San-naki, peut se traduire littéralement du mandingue par “maître de la parole” ou “chef du discours”, en référence à son rôle d’interlocuteur privilégié du souverain, responsable des décisions importantes et des annonces officielles.
Le Sandaki était, dans de nombreux cas, le second personnage de l’empire après le Mansa. Il présidait souvent le conseil impérial, coordonnait les affaires intérieures, et assumait parfois la régence en cas d’absence ou d’incapacité du souverain. Son rôle rappelle, dans certains aspects, celui d’un vizir dans les systèmes politiques islamiques, ou celui d’un premier ministre dans une monarchie traditionnelle. Selon certaines traditions, le Sandaki pouvait également avoir la charge de superviser les autres ministres et les gouverneurs provinciaux, agissant comme un pivot administratif et diplomatique entre le palais et les provinces.
Ce titre est mentionné dans les chroniques arabes médiévales, notamment dans les écrits d’Ibn Khaldûn, qui évoque un certain Sandaki Madugu ayant exercé une influence prépondérante dans les affaires impériales à la fin du XIVe siècle. De même, Ibn Battûta, dans son Voyage au Mali (1352), rapporte l’existence de hauts conseillers dont les fonctions concordent avec celles du Sandaki, bien qu’il ne le nomme pas directement. Les chercheurs contemporains comme Youssouf Tata Cissé et Djibril Tamsir Niane confirment l'existence de ce poste dans l'organigramme impérial traditionnel, où il est parfois désigné comme le “doyen des conseillers” ou “chef du conseil du trône”.
Le Sandaki exerçait aussi une autorité morale forte, représentant la sagesse institutionnelle du Mandé. Il était souvent choisi parmi les notables ayant une grande expérience politique, administrative ou judiciaire. Sa parole était écoutée lors des grands conseils (gbara) et dans les décisions concernant la diplomatie, la succession, ou les affaires religieuses. Ce rôle central faisait de lui un arbitre discret mais puissant de la stabilité impériale.
Aujourd’hui encore, le titre de Sandaki conserve une charge symbolique forte dans certaines traditions mandingues. Il incarne l’idéal du conseiller sage, loyal et expérimenté, garant de l’équilibre entre autorité et justice. Dans la reconstruction contemporaine des institutions inspirées de l’Empire du Mali, le Sandaki représente la mémoire vivante du conseil impérial, de la modération politique et de l'intelligence étatique.











V. Titres Cérémoniels
Belen-Tigui – Maître du Protocole et Gardien de la Mémoire
Le Belen-Tigui (« maître du silence » ou « chef du bâton cérémoniel ») présidait aux rites, cérémonies et audiences du Gbara, le grand conseil impérial. Il veillait à l’ordre des prises de parole, au respect de l’étiquette, et à la rigueur oratoire.
Son principal attribut, un bâton de cérémonie en bois de santal, servait à ramener le silence dans l’assemblée. Gardien des généalogies nobles et des précédents juridiques, il jouait également un rôle de mémoire vivante du droit coutumier, aux côtés des griots.
Djeli (ou Jeliw) – Griot Impérial
Le Djeli, souvent traduit par « griot », était bien plus qu’un chanteur ou conteur : il occupait une position institutionnelle centrale dans la société mandingue. À la fois historien dynastique, maître de la parole, médiateur social et conseiller politique, il détenait la mémoire orale de l’empire.
Formés pendant des décennies dans des familles spécialisées, les Djeliw connaissaient par cœur les généalogies, traités, poèmes épiques, accords de paix, et les récits de règnes passés. Le Djeli principal du Mansa avait le rare privilège de critiquer le souverain à travers des chants allégoriques, dans le cadre ritualisé du Gbara.
Sources : Youssouf Tata Cissé ; Djibril Tamsir Niane, Soundjata ou l’épopée mandingue ; Jean-Loup Amselle.
VI. Titres Islamiques Intégrés au Mandé (Post-XIIIe siècle)
Almamy (ou Al-Imam) – Chef Politico-Religieux Musulman
Le titre d’Almamy (de l’arabe al-imām) s’imposa dans plusieurs régions mandingues après l’islamisation de l’empire au XIIIe siècle. Il désignait un chef religieux musulman exerçant également une autorité politique, souvent dans le cadre d’un État théocratique ou d’un royaume islamisé (comme le Fouta Toro, le Macina, ou le Kénédougou à certaines périodes).
Inspiré du modèle califal, l’Almamy gouvernait selon la charia, faisait appliquer la loi islamique, et était souvent issu de mouvements de réforme ou de conquête religieuse. Il s’opposait parfois à l’autorité traditionnelle du Mansa lorsqu’un pouvoir islamique concurrent s’établissait.
Sources : B. O. Oloruntimeehin, The Segu Tukulor Empire ; M. Hiskett, The Sword of Truth ; Nehemia Levtzion, Islam in West Africa.
Bibliographie Sélective
• Djibril Tamsir Niane, Soundjata ou l'épopée mandingue, Présence Africaine, 1960.
• Youssouf Tata Cissé & Wa Kamissoko, La Geste du Mali, Karthala, 1988-1996.
• Michael A. Gomez, African Dominion, Princeton UP, 2018.
• Hadrien Collet, Le sultanat du Mali, CNRS Éditions, 2024.
• Claude Meillassoux, Anthropologie de l'esclavage.
• Maurice Delafosse, Haut-Sénégal-Niger, 1912.
• Ibn Battuta, Voyages.
• Al-'Umari, Masalik al-Absar.
• Tarikh al-Sudan, trad. Houdas.
• Tarikh al-Fattash.
• M. Hiskett, The Sword of Truth, Oxford, 1973.
• B. O. Oloruntimeehin, The Segu Tukulor Empire, Humanities Press, 1972.


