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La Charte Impériale de Kurukan Fuga

Aux origines de l'ordre impérial et de la dynastie Keita

En 1235, un événement décisif marque la fin de la domination du royaume Sosso sur le Mandé : la bataille de Kirina, dans l’actuel cercle de Kangaba, au Mâli. Elle oppose Soundjata Keita, héritier légitime du royaume mandingue, à Soumaoro Kanté, roi autoritaire du Sosso. Alors que ce dernier imposait au Mandé oppression, humiliations et exactions, Soundjata, revenu d’un exil de dix ans chez Moussa Tounkara à Mèma (1222–1232), parvient à rassembler les peuples mandingues autour d’un idéal de libération.

Si Soumaoro avait remporté auparavant les batailles de Tabon, Niani, Nègèboria et Kanfignè, c’est bien à Kirina que l’équilibre bascule. Grâce à une coalition politique et militaire sans précédent de rois et chefs de guerre, Soundjata triomphe, libère le Mandé, et pose les bases d’un nouvel ordre impérial.

Naissance de l’Empire du Mâli et refondation du pouvoir

Dès l’année suivante, en 1236, Soundjata Keita convoque une assemblée impériale à Kouroukan Fuga, où il est proclamé Mansa – roi des rois. Il fonde l’Empire du Mâli, avec Niani (aujourd’hui Siguiri, en Guinée) pour capitale, sa ville natale. Il organise alors une refondation juridique, politique et sociale du Mandé, soucieux d’unifier les peuples autour de principes communs.

C’est à cette occasion que naît la Charte de Kurukan Fuga, proclamée publiquement par Balla Fasséké Kouyaté, griot et maître de cérémonie impérial, restauré dans son rang après la chute du Sosso.

Une charte de société avancée

La Charte, transmise oralement par les djéliw (griots), constitue l’un des plus anciens corpus de gouvernance connus en Afrique. Elle comprend une portée juridique, éthique, sociale et écologique. On y trouve :

  • la reconnaissance des droits fondamentaux de la personne,

  • la protection des femmes, des orphelins et des étrangers,

  • la gestion collective des ressources naturelles,

  • l’interdiction de la servitude injuste,

  • la codification des statuts sociaux (nobles, castes, artisans),

  • la promotion de la paix entre les peuples.

Cette charte résulte d’un consensus entre les 12 grands alliés de Soundjata, formant le Conseil des Sages du Mandé : Kanmandjan Camara, Tiramakhan Traoré, Fakoly Kouroma, Gassim Goundo, Farawani Condé, Serrakoman Konaté, Mandé Bori, Sidimanba Koïta, Daman Diawara, Môlia Maghan Magassouba, Samory Bobo et Soundjata Keita lui-même.

Héritage du Mandén Kalikan : le socle spirituel La Charte de Kurukan Fuga prolonge et élargit un texte antérieur, le Mandén Kalikan, ou Serment du Mandé, édicté par la confrérie des chasseurs. Ce texte, constitué de sept articles, affirmait déjà le respect de la vie humaine, la liberté, la solidarité, la justice et la protection des faibles. Il inspira profondément la vision politique de Soundjata.

L’article 8 : la reconnaissance impériale de la dynastie Keita

Parmi les articles proclamés, l’article 8 revêt une importance historique capitale :

« La famille KEITA est désignée famille régnante sur l’Empire »

Par cette disposition, Soundjata Keita fonde une dynastie impériale héréditaire, consacrant juridiquement la Maison Keita comme maison régnante légitime de l’Empire du Mâli. Cette reconnaissance par l’ensemble des nobles, chefs de clans et guerriers du Mandé inscrit la famille Keita dans la continuité du pouvoir impérial, au nom du consensus coutumier.

La Maison du Mandé, héritière de cette dynastie fondée au XIIIe siècle, tire sa légitimité historique, juridique et symbolique de cet acte coutumier fondateur. Reconnue par l’acte de proclamation des 17 chefs traditionnels du Mandé en décembre 2023, et portée par la branche aînée des Nyamaghansy, elle incarne aujourd’hui la continuité vivante de l’héritage impérial du Mandé dans le respect des traditions, de l’histoire et de l’autorité coutumière africaine.

Sur la nature et l'authenticité de la Charte de Kurukan Fuga : approche historique et anthropologique

Il est parfois avancé, dans certains milieux académiques, que l’absence d’un système d’écriture dans le Mandé au XIIIe siècle remettrait en cause la possibilité qu’un texte structuré tel que la Charte de Kurukan Fuga ait pu exister. Cette position repose généralement sur l’idée que la notion même de "charte", avec ses "articles" et ses "chapitres", impliquerait une formalisation écrite, incompatible avec une société fondée sur la tradition orale. Or, une telle lecture méconnaît profondément les modes de transmission, de codification et de conservation des normes dans les sociétés africaines précoloniales. La tradition orale mandingue, à l’instar d’autres grandes cultures orales du monde, a su développer des mécanismes sophistiqués de mémorisation, de répétition rituelle et de préservation des textes normatifs par l'intermédiaire des djéliw (griots).

Une transmission orale rigoureuse

Il convient de rappeler que la Charte de Kurukan Fuga n’a pas été rédigée sur support matériel au moment de sa proclamation, mais proclamée, apprise et transmise oralement. Cette oralité ne constitue pas un défaut, mais une caractéristique structurante de la culture juridique et politique du Mandé. Elle s’inscrit dans une longue tradition de transmission intergénérationnelle, où les djéliw jouent un rôle comparable à celui des scribes ou juristes dans d’autres civilisations. La stabilité de cette transmission est attestée par la persistance des principes de la Charte dans les pratiques sociales, politiques et culturelles des populations mandingues jusqu’à nos jours. De nombreux objets historiques, tels que le Sosso Bala (balafon sacré attribué à Soumaoro Kanté), les barres de fer utilisées par Soundjata Keita durant son enfance, ou encore certains objets rituels conservés au Mali et en Guinée, témoignent de la continuité matérielle et symbolique de cette mémoire.

De l’absence d’écriture à l’émergence de l’alphabet N’ko

L’argument du manque d’écriture comme preuve d'inexistence est également affaibli par les développements postérieurs. En 1949, Solomana Kanté met au point l’alphabet N’ko, précisément pour répondre à ce vide et permettre la transcription fidèle des langues mandingues. Cet alphabet, aujourd’hui enseigné dans plusieurs universités internationales, a contribué à formaliser par écrit des textes anciens transmis oralement depuis des siècles. Le fait que la Charte ait été transcrite officiellement pour la première fois en 1998 n’annule en rien son existence antérieure : il s'agit d'une mise en forme moderne d’un texte ancien, ancré dans la mémoire collective et transmis sans interruption.

Vocabulaire juridique en mandingue

Concernant le lexique juridique, il est important de souligner que les termes "chapitre" et "article" existent bien dans la langue mandingue contemporaine, traduits respectivement par "siyda" et "kouroundousén". Leur absence dans les récitations anciennes ne reflète pas une lacune conceptuelle, mais simplement le fait que la Charte a été initialement formulée dans un cadre oral non scriptural.

Une charte vivante, aux interprétations plurielles

Comme toute norme ancienne transmise oralement, la Charte a pu faire l’objet de variations interprétatives selon les régions et les époques. Certains récits insistent sur l’abolition de l’esclavage, d’autres parlent d’une régulation. Ces différences ne sont pas des contradictions, mais le reflet de la souplesse d’un droit coutumier vivant, ajusté aux contextes sociétaux et aux impératifs de chaque époque.

Conclusion

Remettre en question l’existence de la Charte de Kurukan Fuga au motif de son caractère oral revient à nier la légitimité historique des systèmes juridiques non occidentaux. Cette charte, proclamée en 1236 par l’assemblée des chefs du Mandé à la suite de la victoire de Soundjata Keita, constitue une manifestation structurée de principes éthiques, sociaux et politiques qui continuent d’inspirer les sociétés ouest-africaines contemporaines. Inscrite depuis 2009 au registre Mémoire du Monde de l’UNESCO, elle s’inscrit dans le patrimoine immatériel de l’humanité et représente un jalon fondamental dans l’histoire de la gouvernance africaine précoloniale. Sa transmission, sa codification orale et sa signification demeurent un sujet d’étude essentiel pour l’histoire du droit, de la culture et de la pensée politique africaine.

La Charte de Kurukan Fuga : Mémoire, Histoire et Débats

La Charte de Kurukan Fuga, souvent présentée comme l’un des premiers textes fondateurs d’une organisation politique et sociale en Afrique de l’Ouest, occupe une place centrale dans la mémoire du Mandé. Transmise oralement pendant des siècles, elle a été restituée collectivement en 1998 à Kangaba, puis inscrite par l’UNESCO au patrimoine oral et immatériel de l’humanité.

Cette reconnaissance témoigne de son importance symbolique. Mais, comme tout objet historique, la Charte suscite aussi des discussions et des lectures critiques parmi chercheurs, intellectuels et traditionnistes.

 

Une mémoire restituée, non un texte figé

De nombreux chercheurs africains, comme Siriman Kouyaté ou Amadou Hampâté Bâ, insistent sur le fait que la Charte n’a jamais été un texte écrit au XIIIe siècle, mais une mémoire collective transmise oralement. Elle a évolué avec le temps, adaptée par les griots selon les besoins des sociétés.

Cette oralité vivante est une richesse, mais elle implique une variabilité dans les contenus selon les lignages, les régions, et les époques.

Des interrogations historiques légitimes

Des historiens comme Maurice Delafosse ou Jean-Pierre Chrétien soulignent que les sources écrites médiévales (notamment arabes comme celles d’Ibn Battûta ou d’Ibn Khaldoun) ne mentionnent pas une charte codifiée à l’époque de Soundiata. La régulation sociale du Mali médiéval semble plutôt reposer sur des coutumes, alliances, rituels et équilibres lignagers.

Des anthropologues comme Claude Lévi-Strauss ou Eric Hobsbawm rappellent aussi que toute société orale ne produit pas nécessairement de "textes", et que certaines "traditions" peuvent être reconstruites pour répondre à des besoins modernes, identitaires ou politiques.

Un débat africain légitime et enrichissant

Des intellectuels africains comme Paulin Hountondji ou Jean-Loup Amselle ont critiqué l’usage de la Charte comme une sorte de "constitution africaine originelle", estimant que cela peut renforcer des représentations figées ou idéalisées de l’Afrique. Pour eux, l’enjeu est d’assumer une modernité africaine critique, plutôt que de chercher à "rattraper" l’histoire européenne par des équivalents symboliques.

​Conclusion

Nous reconnaissons que la Charte de Kurukan Fuga, telle que formulée aujourd’hui, est le fruit d’une mémoire reconstruite et d’un héritage vivant. Elle témoigne d’une organisation sociale avancée, d’une vision éthique de la communauté, et d’une sagesse mandingue fondée sur l’équilibre, la solidarité, et le respect des rôles sociaux. La discussion scientifique autour de son historicité n’enlève rien à sa valeur symbolique, ni à son rôle dans la transmission des valeurs du Mandé. Bien au contraire, elle enrichit notre regard et nous invite à assumer pleinement l’articulation entre tradition, mémoire et réflexion critique.

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